L’OCCUPATION hitlérienne et
la RÉSISTANCE dans l’Yonne
La résistance dans le canton de Quarré les
Tombes
BOB
« Les résistants eux-mêmes ne
connaissent-ils donc pas l’histoire de la Résistance
qu’ils ont vécue ? Non, pas vraiment.
En y réfléchissant cela s’explique.
Les conditions de la clandestinité étaient
telles que chacun agissait dans son secteur prenant contact
avec le moins de camarades possibles, ces camarades n’étant
souvent connus que par leur pseudo. Les résistants
ignoraient ce qui se passait ailleurs et même la
perspective générale des actions auxquelles
il prenait part. Tout cela était une nécessité de
sécurité, un impératif de survie.
Ces évènements si complexes, si tragiques,
si lamentables ou si héroïques de l’occupation
hitlérienne ne seront appréhendés
que si on les élève au niveau de la conscience
collective en les racontant, en les décrivant, en
les reconstituant, tant bien que mal par une approche de
plus en plus fidèle de la réalité.
Sinon , ils sombrent dans le néant de l’oubli
et sont perdus à tout jamais. Et c’est alors
de ces tentatives de fidèle reconstitution qu’on
s’étonne de la richesse extraordinaire de
cette période à la fois dans ce que le moraliste
appelle abstraitement le bon et le mauvais si bien que
l’historien qui croit être au bout de son étude
découvre encore et toujours des paillettes d’or
dans la boue de l’occupation.
Bob était le pseudo diminutif de Robert ;
il revenait souvent dans les témoignages de l’époque.
Dès 1941 un responsable se faisant appeler Bob passait
régulièrement à Migennes, en venant
de Paris. Je suppose que c’est lui qui m’avait
contacté au moment de l’arrestation de
Jules Brugot (août 1941) à qui il voulait
offrir un poste important. Il était présent
avec François Grillot, Marcel Asmus et Emile Proudhon à la
réunion constitutive des FTPF. Le 10 novembre 1942 à Avallon
chez l’hôtelier Robert Santigny membre du FN.
Il est là le 22 novembre pour le premier parachutage
d’armes près de Quarré.
De même que pour Toinou, ce Bob qui apparaissait
dans notre histoire locale attira peu mon attention. Son
vrai nom nous était inconnu. C’est peu à peu
que la répétition de son pseudo dans les évènements
de 1941-42 me fit m’intéresser à ce
représentant du National . Par Albert Ouzoulias
(colonel André) du Comité Militaire National
des FTP responsable de la subdivision 4 (dont faisait partie
notre région) par là chef direct de Bob,
j’eus son vrai nom : Albert Gueusquin ;
il ajouta ce simple commentaire : c’était
un gars formidable, il a été fusillé.
C’est au milieu de l’année 1942 que « Toinou » fait
venir Betty Gilbert chez lui et lui présente Bob.
Celui ci, sans préambule, attaque le sujet :
- Pour faire la guerre, il faut des armes et des munitions .
Il en traîne un peu partout dans cette région .
Par tous les moyens il faut les récupérer.
Betty est un peu interloquée. Beaucoup d’armes
récupérées avaient été stockées
par le groupe de Saint-Léger. Toutefois elle connaissait
un important dépôt constitué d’armes
de chasse qui, réquisitionnées par les Allemands
avaient été volées à la Mairie
de Quarré, et aussi d’armes de guerre avec
munitions trouvées le long des routes par Gilbert,
René Duban et Henri Guillot. Ces deux derniers camarades
acceptèrent de transférer l’important
dépôt qu’ils détenaient. Le matériel
dissimulé dans le double fond d’une cage à porc
fut transporté sur une charrette traînée
par « Fauvette » la vieille jument
et fut entassé dans une cache derrière chez
les Gilbert .
Bob et ses camarades vinrent plusieurs fois chercher du
matériel.
Puis ce fut le fameux parachutage du 22 novembre 1941
au lieu-dit Champ de Vanais non loin de Quarré les
Tombes auquel assistèrent répétons-le
outre « Bob », le responsable, Paul
Bernard (Camille), Jean Longhi (Lionel), Antoine Sylvère
(Toinou) et le brigadier forestier Georges Cheveau (Popol).
« Bob » reviendra plusieurs fois à Quarré chez
Toinou et chez Gilbert Il emportera un poste émetteur
et des armes. Il était accompagné de Pierrot
(Pierre Pelé) un de ses adjoints qui fréquentait
une des filles Sylvère et faisait souvent la navette
entre Paris et Quarré.
Fin février ou début mars 1943, Bob fut
arrêté au cours d’une rafle à la
gare de Lyon. Il avait sur lui quelques papiers compromettants
et le livret militaire de Pierrot. Celui ci fut arrêté peu
après.
« Toinou » prévenu par ses
filles convoqua les membres du groupe et leur dit : « -
Pierrot est arrêté ; nous sommes foutus. »
Antoine Sylvestre avait bien jaugé les faibles
capacités de résistance de celui qu aurait
dû être son futur gendre car effectivement « Pierrot » se « mit à table ».
Le 13 avril 1943 à 3 heures du matin c’est
tout un convoi qui se dirige vers le hameau où demeurent
les Gilbert : une traction, un car de feldgendarmes,
un camion de troupe. Le coin est réputé dangereux
et l’ennemi craint une riposte. La maison d’Abel
Gilbert est encerclée puis les hitlériens
se ruent sur la porte tapant et hurlant. Abel ayant ouvert,
ils se précipitent et se mettent à fouiller
l’appartement de fond en combles, en vain. Betty
sentant le danger avait brûlé tracts et papiers
compromettant.
Les époux Gilbert sont enchaînés et
gardés à la maison par sept allemands .
Les trois véhicules reprennent la route pour tenter
d’arrêter le reste du groupe, d’abord
le brigadier forestier Cheveau dit Popol. Comme il n’est
pas là, sa femme et son frère sont pris en
otages.
Kléber Blanchard, le brigadier de gendarmerie de
Quarré avait eu le temps de prévenir « Toinou » et
les habitants du « Moulin Simmoneau ».
Voici les hitlériens qui viennent arrêter
Sylvère. Il n’y a plus personne dans la maison. Ils
retournent tout mais ne trouvent rien de compromettant.
Furieux, ils reprennent la route du Moulin Simonneau. Même
méthode : ils investissent la maison de Camille
et de Longhi, ; personne,. Ceux ci couchaient dans
un bois derrière chez eux juste assez proche pour
assister à toutes les manœuvres des hitlériens
qu, après avoir appelé et hurlé en
vain, tirent par toutes les issues au hasard, blessant
grièvement l’un des leurs, un milicien venu
la veille reconnaître les lieux déguisé en
pêcheur à la ligne.
3Pierrot » a donné les deux convoyeurs
d’armes dont il ne connaît heureusement pas
les domiciles, simplement un nom : Duban. C’est
aussi le nom du patron de l’hôtel de Quarré,
lieutenant de louveterie et grand chasseur devant l’éternel.
lui, Albert, est arrêté par erreur à la
place de René, le résistant.
Dépité de leur échec relatif, les
Feldgendarmes viennent chercher les Gilbert qui laissent
leurs deux petites filles 9 et 10 ans malades, atteintes
de diphtérie. Madame Cheveau et son frère
sont ramassés. Dans le car ils aperçoivent
avec surprise Albert Duban. Cela crée une confusion
favorable mais finalement l’hôtelier sera relâché avec
excuses. A la mairie de Quarré commencent les interrogatoires
agrémentés de quelques gifles.
Les Sylvère s’étaient réfugiés
chez leurs amis Bigé . « Toinou » étant
descendu rencontre une dizaine de soldats nazis qui lui
demandent s’il connaissait un nommé Sylvère
Antoine. Avec beaucoup de sang froid Toinou répondit
par l’affirmative et les envoya dans un chemin en
direction des Iles Ménéfriers où ils
s’embourbèrent. Il devenait urgent de décamper.
Toinou et sa femme Suzette allèrent trouver le docteur
Ruais brave patriote qui rendait de grands services au
groupe de Quarré et qu’on ne sollicitait jamais
en vain. Ils lui demandèrent de les conduire à Saulieu
où ils pensaient retrouver leur fils Jean qui exploitait
une scierie près de la gare. Mais hélas les
Feldgendarmes étaient passés le chercher.
Etaient arrêtés aussi à Paris ses deux
sœurs Ginette et Sissi. « ‘Pierrot » n’avait
oublié personne. Cinq membres du groupe purent cependant échapper à la
rafle. Les autres furent amenés à Dijon où ils
restèrent jusqu’à fin avril puis furent
transférés à la prison de Fresnes
où les interrogatoires reprirent. Abel Gilbert,
Mme Cheveau et son frère furent alors relâchés
sans aucun sévice.
Nous laisserons témoigner Betty Gilbert :
« Jean Sylvère et moi eûmes droit
aux cellules portant le NN (Nuit et Brouillard). Le premier
interrogatoire à Fresnes se passe presque bien.
Au deuxième « Bob » était
déjà dans le couloir, le pauvre, dans un état épouvantable.
Il n’avait plus rien d’humain, ses plaies saignantes,
purulentes pour certaines, laissaient deviner son martyre.
Mais il restait lucide, courageux à l’extrême,
niant tout même me connaître. Heureusement
dans mes interrogatoires antérieurs, j’avais
eu la même attitude.
Quelques jours après, nouvelle confrontation horrible,
deux gardes chiourmes soutenant Bob mourant. Il avait les
bras cassés, un retourné mais bravement continuait
de nier par signes, par mouvements de sa pauvre tête
meurtrie. Quel courage, quel exemple !..
Arrive soudain entre deux SS Pierrot qui visiblement n’a
reçu aucun coup.
Peut-être était-il heureux de nous retrouver,
ce lâche !… Alors que nous refusions de
nous connaître, ce triste individu me dit :
- Mais si Betty, tu le connais bien Bob, rappelles-toi
un soir. Tu nous as donné à manger une côte
de veau et des petits pois ? Tu as donné à Bob
un bleu de travail de ton mari pour le faire rentrer à Paris…
Les deux SS qui n’attendaient que cela se mirent à nous
tomber dessus à coups de points, à coups
de pieds. Je tombe sur la machine à écrire
que j’entraîne dans ma chute. Je ne sais comment
j’ai réintégré ma cellule 113 .
Quant à Bob, je ne devais jamais le revoir, mort
assassiné à Fresnes au début de juin
1943.
Je fus transférée à Romainville aux
isolés. C’était moralement terrible.
Pas droit à la cour, pas droit aux fenêtres,
pas de colis, pas de lettres, enfermée à la
cellule 104. Puis le 28 août 1943, je fus avec les
240 femmes expédiée à Ravensbruck
où Ginette Sylvère veuve Hamelin mourut en
février 1945 âgée de 32 ans ».
Source : L’occupation hitlérienne et la résistance
dans l’Yonne (Robert BAILLY)
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