Les différents sentiments que
fait naître la mort en ceux qui
en sont spectateurs, - affliction, espérance,
respect, terreur - se sont toujours manifestés
dans nos contrées, non moins qu’ailleurs,
par des usagers d’une expression
saisissante.
La morte venue, à l’instar
des Romains, on s’empresse de répandre
l’eau des vases qui se trouvent
dans la chambre du mort, tantôt
pour que l’âme du défunt
ne s’y noie pas, tantôt par
crainte, comme dans le Morvan, l’âme
ayant pu s’y laver, de boire un
coup de ses péchés, ou
bien encore pour chasser le diable et
laver l’âme du défunt.
A Quarré les Tombes, en signe
de deuil, on fait prendre le deuil aux
abeilles en couvrant d’un voile
les ruches qu’on asperge d’eau.
Si l’on n’agissait pas ainsi,
les abeilles émigreraient ou tourneraient à mal.
Avant de conduire le défunt à sa
dernière demeure on le revêt
de linge blanc : on lui met à la
main son chapelet ou son livre de messe
et une pièce de monnaie qui, dit-on,
doit lui servir pour se présenter à l’offrande à son
arrivée au ciel, c’est à dire
pour payer à Saint Pierre sa place
dans le Paradis. Cet usage dérive
manifestement de l’idée
qui, chez les païens, faisait placer
une obole dans la bouche du mort pour
qu’il puisse, une fois sur les
bords du Styx, payer son passage à Caron.
Le corps du mort, sans autre enveloppe
que celle résultant de l’ensevelissement,
est transporté de la maison mortuaire à l’église
sur un brancard formé de deux
morceaux de verne, dont l’écorce
a été enlevée avec
soin pour l’assimiler symboliquement
au défunt dépouillé de
la vie. L’entrée de
l’église seulement le corps
est mis dans un cercueil. L’emploi
des cercueils, même, est presque
une nouveauté : il ne date
que du commencement du 19ème siècle.
Il faut reconnaître, au surplus,
que l’ancienne façon de
faire n’était pas sans avantage, à raison
de la hâte avec laquelle on procédait à l’inhumation.
Souvent on a reproché aux habitants
de ce pays de tromper l’autorité sur
l’heure du décès
pour être à même d’avancer
l’enterrement. Plus d’une
fois, il dût arriver qu’on
enterra des gens qui étaient encore
vivants. Aussi bien cite-t-on deux faits
qui viennent justifier ces craintes.
Vers 1770, une malheureuse femme, étant à l’église,
sur le banc des morts, leva la tête
pendant qu’on célébrait
son service, et, chose incroyable, comme
elle ne réitéra pas ce
signe de vie, on la porta, un instant
après, au cimetière, où on
l’enterra sans plus de formes.
A la même époque encore, à Lormes,
pas très loin de Quarré,
tandis qu’on chantait les dernières
prières sur le prétendu
cadavre d’un jeune homme, le mort
se souleva en faisant tomber le linge
qui couvrait sa bouche. Il faut, toutefois,
rendre cette justice aux assistants qu’ils
jugèrent l’épreuve
suffisante. On défit le linceul,
et le mort ressuscita si bien qu’il
vécut encore dix sept ans. En
souvenir de l’événement,
on appela celui qui en avait été le
héros Trompe-la-mort.
Pour racheter en quelque sorte cette
promptitude que l’on mettait à enterrer
les morts, on s’évertuait à les
pleurer à tel renfort de cris
et de sanglots que, jusque vers 1840,
parait-il, on entendait à deux
kilomètres de distance approcher
un convoi funèbre. Pour donner
une idée complète de ces
scènes tragi-burlesques, voici
ce qu’écrit Charles Flandin,
en donnant l’exemple du déroulement
d’obsèques à Montsauche,
scènes que l’on rencontrait
un peu partout dans la région : « Les
touristes virent déboucher, sur
la grande place publique, une masse d’hommes
et de femmes de la campagne qui suivaient
processionnellement un char à bœufs à deux
roues chargé de quelques chose
de noir. Disons-le sans vous attrister,
c’était un enterrement,
celui d’une femme assez jeune encore
vraisemblablement, car le mari, qui suivait
le char ou conduisait le deuil, pouvait
avoir de 35 à 40 ans. Il était
accompagné d’un domestique
de ferme, ce qui indiquait une condition
assez aisée. Arrivé sur
la place, le char s’arrête
et la masse d’hommes, qui le suivait,
se rua sur une auberge. Elle se fait
servir à boire et à manger,
et, à table, repris, avec animation,
le cours de ses affaires, absolument
comme un jour de foire ou de marché.
Mais voici que le curé, avec la
croix, le chantre et les enfants de chœur,
vient chercher son mort, lever le corps,
comme il doit se dire en langage d’église.
A cet appel du dehors, c’était à qui
sortirait du cabaret le plus vite et
pour faire entendre les plus hauts cris.
Le mari se distingua entre tous, disant à son
domestique en lui remettant son chapeau : « Tiens
bon mon cépias, Piarre, qui ieu
foutas eune tournée de rebolles ».
Reboller, c’est crier, pleurer
avec bruit, du latin balare.
Et les cris d’affolement suivirent
le corps jusqu’à l’église,
et se renouvelèrent au cimetière
jusqu’à la fin des prières
du prêtre. La cérémonie
terminée, tous ces braves criards
virent reprendre leur repas interrompu.
Dans plusieurs pays du Morvan ,
on brûle sur le chemin qui conduit
au cimetière, la paille du lit
sur lequel le mort a rendu le dernier
soupir. Cet usage de livrer aux flammes
le lit des morts est d’ailleurs
très répandu en Bourgogne.
On s’accord généralement à y
voir un ressouvenir de la coutume qu’avaient
les Gaulois de brûler le cadavre
du mort et avec lui une partie des objets
qui lui avaient servi.
Presque partout, autrefois et aujourd’hui
encore dans plusieurs localités,
après l’enterrement, avait
lieu ou a lieu un repas de famille.
L’usage des repas funéraires
et aussi ancien que répandu. Cette
coutume semble avoir pour principe la
croyance que la mort ne fait qu’opérer
un avatar et qu’une existence plus
heureuse s’ouvre à lui.
Dès lors comment ne pas s’en
réjouir ? On ne s’en
tient pas toujours à songer au
sort du mort, mais qu’on s’occupe
aussi parfois de l’avenir de la
personne à qui il était
le plus intimement lié. A la fin
du repas, quand les libations ont produit
leur effet, on s’évertue à chercher
qui pourra bien le remplacer, et le veuf
ou la veuve prend parfois part à la
délibération avec une ardeur
remarquable.
La consultation des registres paroissiaux
indique d’ailleurs que très
souvent, le veuvage ne dure que quelques
semaines.
Source : Les usages,
croyances, traditions, superstitions
de l’Yonne
(Charles Moiset 1888)