SAINT GERMAIN DES CHAMPS
Sorcellerie de mariage
Charles Moiset a créé en 1885 une commission
au sein de la Société des Sciences Historiques
et Naturelles de l’Yonne pour retrouver usages, croyances
et traditions. A la suite d’un questionnaire détaillé envoyé dans
toute la région, en particulier aux instituteurs,
un ouvrage a pu être réalisé, édité en
1888, réédité en 1982 par les éditions
Jeanne Laffitte de Marseille. 200 communes de l’Yonne
sont citées dans cet ouvrage dont certaines du canton
de Quarré les Tombes.
Ce fait de sorcellerie a été rapporté par
le journal « la Constitution » du
12 Janvier 1887.
« Dans le hameau du M…, commune de Saint-Germain-des-Champs,
demeurent, presque porte à porte, les deux familles
de cultivateurs D… et G…, familles assez aisées
et qui ont toujours vécu en bonne intelligence.
L’une d’elles, la famille D… , a le bonheur
de posséder comme héritière une fille
charmante de 20 ans, et l’autre, la famille G…,
a la bonne fortune aussi d’avoir pour fils un beau
gars de 25 ans : âge, pour un tel couple, des
amours…légitimes. Ces jeunes gens, en se voyant
tous les jours, durent s’aimer, et ils s’aimèrent,
en effet. Mais le fils G…était timide, comme
l’est un véritable amoureux, et la jeun D… attendait
toujours. Le père D…, lui, devinait,
et, jovial de caractère et pas mal enclin à la
boisson, comme nombre de ses compères, il invitait
assez fréquemment son jeune ami et voisin G…à entrer
avec lui au cabaret. En trinquant, on jase de ceci,
de cela, et le père D…, pour taquiner
son partenaire, aimait à en venir à la question
de mariage. « Est ce que tu n’y songes
pas, toi à prendre une femme, lui disait-il, te
voilà dans l’âge ». Le
jeune homme baissait la tête et répondait
peu. « Ca, voyons, si je te proposais ma fille,
finit par dire un jour le brave homme, la tête échauffée
par un coup de vin… » - « Votre
fille ! oh ! je ne suis pas assez riche pour
elle, et c’est à savoir si elle m’aimerait. » - « A
toi de le lui demander, et, quant à la fortune,
on ne parle pas de cela entre voisins, entre ami. » Et
voilà, par ces bonnes paroles, le gars introduit
dans la maison à titre de soupirant. Il ne soupira
pas longtemps et se fit aimer, comme il aimait lui-même,
avec passion.
On avait compté sans la mère D…, qui
tenait en réserve un mari pour sa fille, un sien
neveu, plus riche que le voisin G… Et, pour montrer
son pouvoir dans le ménage, la dame D….fit
appel à son neveu absent pour qu’il vint faire
valoir ses droits de premier prétendant.
Avec les amoureux, la discorde entre dans la maison –« Tu épouseras
ton cousin », disait la mère à sa
fille – « Jamais, répondait la
jeune fille, je me donnerais plutôt au diable. » Et
Mme D… prit cette parole à la lettre, et elle
dit un jour à son mari que sa fille était
ensorcelée et qu’il fallait aller au Devin.
Le mari, qui croyait, qui voyait sa fille malade, se laissa
persuader, et voilà les deux époux en route
pour aller trouver le sorcier dans son village, à X...,
commune de Dun les Places, en plein Morvan.
Après avoir entendu les consultants : « Ce
n’est que cela, dit le fin bonhomme, je tiens votre
affaire, soyez-en sûrs ; mais versez d’abord
50 fr. »
La somme fut versée incontinent, on s’y était
préparé.
« Et maintenant, reprit le Devin, répondez
juste et bref à mes questions : chez qui prenez-vous
votre épicerie ? – Chez S…, à Cousin-la-Roche,
faubourg d’Avallon – Votre vin ? – Chez
Diz…aubergiste au M… - Quel est votre plus
proche voisin ? – Un tel. – Eh bien, ce
son S…, Diz…et Un tel qui ont ensorcelé votre
fille. Il vous faut, et sans retard, prendre trois mannequins
et les habiller en dirigeant votre intention pour qu’ils
représentent les trois personnages susdits. Vous
les mettrez en triangle, dans votre jardin, comme trois
fantômes à faire peur au monde. La nuit, vous
vous armerez de bâtons, vous les fustigerez comme
des vauriens, les roulerez dans la boue, et, en dernière
fin, les ferez brûler. Le lendemain, vous choisirez
dans un troupeau un mouton noir que vous conduirez à la
porte de la jeune fille, et là vous le tuerez d’un
coup de fusil et le ferez aussi brûler à grand
feu. Le diable, alors, sortira en criant du corps de la
jeune fille qui, ainsi, sera guérie de son mal,
du mal d’amour.
Très bien cela, dit Mme D…, mais ce n’est
pas tout, il faut que notre fille en aime un autre, notre
neveu, et qu’elle l’épouse.
Ceci, c’est une autre chose, un cas nouveau et délicat,
dit le sorcier, versez encore 50 fr.
Mme D … délia sa bourse et en tira cinq pistoles.
Les voilà dit-elle.
Attention alors, continua le personnage ; pour le
succès complet que vous avez à poursuivre,
vous devrez exécuter de point en point une nouvelle
ordonnance que voici : vous couperez vous-même
sur la tête de votre neveu une mèche de cheveux
que vous lierez avec un fil de soie, et vous l’introduirez
sous l’ourlet du jupon de votre fille, à son
insu, bien entendu. La mèche cousue dans l’ourlet
devra y rester neuf jours, et, pendant ce temps, chaque
matin, vous direz cinq pater et cinq ave pour le parrain
et la marraine de votre neveu, et cinq autres encore à l’intention
des âmes du purgatoire. »
A ces prescriptions, le Devin ajouta des imprécations
contre le diable et des invocations dans lesquelles il
mêla le nom de Dieu, des anges et des saints du paradis.
Les époux D…se retirèrent satisfaits
et non sans remercier chaudement, par des serrements de
mains, celui qu’ils appelèrent leur sauveur.
Tout fut exécuté selon la parole du prophète.
Les mannequins furent battus et brûlés, l’agneau
noir immolé, etc., etc.. La dame D… même
se vanta qu’une dent accidentellement cassée
dans la bouche d’un des trois personnages était
l’effet de la volée de bois vert qu’il
avait reçue en effigie.
Mais, ô fatalité : La mèche de
cheveux fut découverte dans son jupon par la jeune
fille avant la fin du neuvième jour, et le sortilège
manqua son effet.
Source : Les usages, croyances, traditions,
superstitions de l’Yonne (Charles Moiset 1888)Moiset
1888)
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